Avant de commencer
Si vous n'avez pas lu le livre de la Vie d'Oyasama, il est difficile de comprendre de quoi je parle ici. Contactez-moi pour vous en procurer. Ces commentaires sur la Vie d'Oyasama ont été succesivement publiés sur papier depuis novembre 2011. Mais je continue la suite ici sur ma page d'internet. Ainsi, tout ce qui est écrit ici est mon interprétation personnelle mais elle est fondée sur la doctrine authentique enseignée au Japon.
I, le sens de ses premiers quarante ans
4. En tant que femme de son temps
Regardons un peu la place des femmes de l’époque. À l’ère Edo (1603-1867), le manuel « Le grand savoir des femmes(1) » contenait les règles à respecter pour les femmes. Bien que contestés à l’époque moderne(2), les dix-neuf articles qu’il comporte étaient déterminants pour la conduite féminine.
En voici des extraits(3):
Article II : L’amabilité d’esprit prévaut sur la beauté d’apparence.
Article IV : Ne soyez jamais jalouse.
Article X : Levez-vous tôt, couchez-vous tard, appliquez-vous au ménage, ne sortez pas beaucoup, gardez la chasteté.
Article XII : Restez sobre en toutes choses, ne gaspillez point.
Article XV : Faites de la famille du mari la priorité avant toute autre chose, la famille natale étant seconde.
Article XVII : Donnez-vous de la peine en personne pour n’importe quelle tâche et travaillez corps et âme même si vous disposez de plusieurs domestiques.
Article XVIII : Traitez les serviteurs avec sollicitude.
Article XIX : Gardez-vous d’avoir les cinq maux des femmes à savoir discordance, haine, médisance, envie et irréflexion.
Il est facilement compréhensible que le comportement de Miki répondait parfaitement à ces règles édictées.
Quant au bouddhisme que Miki a bien connu, il dit que « les cinq obstacles, ou les cinq interdits, sont les cinq états supérieurs qu'une femme ne peut en aucune façon espérer atteindre, à savoir l'état du dieu Brahma, celui du dieu Indra, celui de protecteur du Dharma, de roi universel (cakravartin) et enfin celui de bodhisattva (le modèle vers lequel tendent les efforts du pratiquant qui veut devenir un bouddha) »(4). En plus de cela, les trois obéissances ont été également enseignées : « Dans l’enfance, une femme doit être soumise à son père, dans la jeunesse à son mari et lorsque son mari meurt, à ses fils(5) ». Ce sont ces mêmes règles que nous trouvons clairement énoncées dans les Cinq Classiques de Confucius, dont le Livre des Rites(6).
Sans doute archaïques et inapplicables à l’heure actuelle, ces préceptes considérés comme l’héritage de Confucius ou de Bouddha mais empreints d’hindouisme(7) n’étaient pas farfelus pour autant s pour les Japonais du XIXe siècle. Si Miki était exemplaire pour les femmes de son temps, on peut supposer qu’elle aurait bien suivi toutes ces instructions. Ayant été une pratiquante assidue du bouddhisme qui avait rêvé auparavant de devenir bonzesse, qu’en a-t-elle pensé lorsqu’elle se rendit compte que « si une femme veut atteindre ce but (l’éveil, ndlr), elle doit au préalable s’être métamorphosée en homme »(8)?
Dans un tel contexte où la misogynie existait encore, il nous faudrait remesurer la vraie ampleur de l’événement du 26 octobre 1838 : une révélation à connotation universelle a été faite par une femme dans un pays dont le peuple n’a pas la coutume de vénérer un Dieu créateur et dans une période où « s’est répandue de manière importante dans le milieu populaire la vision bouddhique concernant les femmes qui inflige aux femmes un complexe d’infériorité et de saleté(9) ». La Révélation est d’autant plus significative que Miki, disciplinée et sage, avait une telle facilité d’accepter les conditions existantes et ne se serait même pas posé la question sur la discrimination faite à l’égard des femmes. La déclaration à caractère révolutionnaire ne fut donc pas le fruit de la volonté humaine de Miki.
5. De Miki à Oyasama
On peut dire que Miki NAKAYAMA avant la Révélation atteignit spirituellement le niveau suprême en tant qu’être humain. C’est dans cet état que Miki est passée subitement d’une personne ordinaire au Dieu vivant sur la Terre, c’est-à-dire même si elle a progressé graduellement au cours de sa vie humaine, l’acceptation de son mari pour le Temple de Tsukihi a déclenché le passage d’une femme au Temple de Tsukihi, processus terminal qui l’a conduite à un état final et invulnérable. Pendant cinquante ans en tant que Dieu terrestre, sa souveraineté n’a jamais été remise en question, pas une seule fois malgré une succession d’événements perturbateurs.
Ainsi, bien que certains disent qu’« Oyasama évoluait et progressait au fil du temps »(10), je ne prends pas une position en faveur de cette évolution d’Oyasama car je pense que, dès le 26 octobre 1838, elle garda la même forme d’existence sans ne rien altérer. Toutefois, il me semble bien qu’il y eût des changements. Ce n’est pas un changement essentiel et qualitatif du Temple de Dieu mais des changements relationnels entre le monde réel et spirituel. Certainement, Oyasama s’attribue totalement le statut de divinité mais le monde ne l’a pas suivie immédiatement. De ce fait, le monde réel autour d’Oyasama aurait présenté certaines difficultés faute de temps d’adaptation puisque la transfiguration fut foudroyante. Ce n’est ni l’évolution ni le développement mais une distorsion ou un déséquilibre entre le monde spirituel et celui réel causé suite à la métamorphose drastique de Miki humaine en Oyasama divine. Même si Miki profane s’est transformée en temple sacrée en une nuit, le monde aux alentours, y compris le corps physique d’Oyasama que voyaient les premiers fidèles sous leurs yeux, n’a pas changé aussi vite. Cette distorsion pourrait fournir quelques explications sur ce qui s’est passé autour d’Oyasama après la Révélation. C’est l’un de points que nous souhaiterions développer dans les chapitres à venir.
1 Shimizu Masaru, Grand dictionnaire de l’histoire du Japon日本歴史大辞典, rubrique « Onna daigaku女大学 », Kawaide shobo, 1985. Il s’agit de « Onna daigaku女大学 » qui servait beaucoup dès le milieu de l’ère Edo à discipliner les femmes.
2 Ibid. Au début de l’ère Meiji, la morale féodale étant sévèrement critiquée, « Le grand savoir des femmes » fut aussi la cible de toute condamnation.
3 Ibid.
4 Desjardins Fabienne Shanti, la femme en Inde, La Nouvelle revue de l'Inde; n°2, Femmes indiennes / éditorial François Gautier, Paris, L'Harmattan, 1 vol. (158 p.), sept 2009, p.88.
Voir également : « Les femmes ont cinq entraves, c’est-à-dire elles ne peuvent pas parvenir aux états supérieurs malgré l’ascèse : Brahma梵天王, Shakra(Indra)帝釈, roi Mara魔王, cakravartin転輪聖王 et Bouddha仏身 » Digital daijisenデジタル大辞泉, Syogakukan, article « Gosho五障 ».
5 Ibid. p.82.
6 Ibid. p.88.
7 Iwamoto Yutaka, Vision sur les femmes du bouddhisme仏教の女性観, Zenbutsu 全仏No 205, Japan Buddhist Federation, 全日本仏教界, mars 1975.
8 Ibid. p.89. Miki devait connaître cette doctrine car il est chanté dans le numéro 10 des hymnes de la secte Jôdo (Jôdo-wasan) qu’elle récitait dans son enfance (La Vie d’Oyasama, p.8). Néanmoins, il me semble rester encore difficile de déterminer le véritable impact des enseignements bouddhiques sur la vision des femmes. Les interprétations de la discrimination faites à l’égard des femmes (interdiction d’accès à certains endroits, cinq entraves, impossibilité d’atteindre l’Eveil etc.) varient beaucoup selon les maîtres et chercheurs.
9 Minamoto Junko, Le bouddhisme qu’accuse le féminismeフェミニズムが問う仏教, Tokyo, San-ichi shobo, 1991, p.41.
10 Sawai Yoshinori, La façon d’apprécier la Vie d’Oyasama et son historique d’édition教祖伝編纂の経緯と味わい方, Arakitoryo 250, 2013, p.p. 79-80. L’auteur ne supporte pas non plus la position de l’évolution d’Oyasama.
(publié en février 2014 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)