Avant de commencer
Si vous n'avez pas lu le livre de la Vie d'Oyasama, il est difficile de comprendre de quoi je parle ici. Contactez-moi pour vous en procurer. Ces commentaires sur la Vie d'Oyasama ont été succesivement publiés sur papier depuis novembre 2011. Mais je continue la suite ici sur ma page d'internet. Ainsi, tout ce qui est écrit ici est mon interprétation personnelle mais elle est fondée sur la doctrine authentique enseignée au Japon.
I, le sens de ses premiers quarante ans
3. Après le mariage
3.1. Conditions du mariage
Miki se maria à treize ans avec le fils aîné d’une famille aisée, les Nakayama, qui possédait un vaste domaine agricole (rizière et cotonnerie) et faisait partie du groupe dirigeant le village. Concernant sa belle-famille, ainsi que la sienne propre, les Maegawa, le deuxième Shimbashira insiste que l’idée de l’âme de Miki, issue d’une classe aisée, aurait plu à certaines personnes à l’époque mais au vu des instructions ultérieures d’Oyasama qui ne mettent pas les classes sociales sur un plan spirituellement important, on ne doit pas lier à la bourgeoisie des deux familles son âme prédestinée en matière de l’Enseignement(1).
En préparation du mariage, Miki demanda une chose : «Même lorsque je serai mariée, j'espère qu'on me laissera réciter mes prières à Bouddha, une fois accompli le travail des veillées(2).» En effet, elle voulait devenir bonzesse, moine bouddhiste féminin, mais ses parents s’y opposaient puisqu’à l’époque, la vie des moines bouddhistes semblait dépravée(3). Imploration admise, il lui fut autorisé à réciter les prières la nuit. Elle allait aussi au temple bouddhiste prier ou écouter les sermons.
Ainsi resta-elle comme elle l’avait été avant le mariage : toujours travailleuse, pieuse, fidèle à ses parents. En tant que femme du propriétaire du domaine, Miki n’hésitait pas à aller accomplir des travaux physiques dans les champs pour aider sa famille mais également pour encourager ses fermiers, bien qu’elle ne fût pas très forte physiquement. Ses beaux-parents lui vouaient une confiance absolue au point de lui confier le livre des comptes lorqu’elle eut seize ans.
Elle se désintéressait de la coquetterie et son chignon n’allait pas souvent avec ses habits, si bien que les villageois chuchotaient ainsi : « elle s’habille comme une jeune fille mais sa coiffure est celle d’une femme de trente ans(4). » Bien évidemment, nous n’avons pas besoin de l’imiter mais cela dit simplement que sa beauté vient de l’intérieur.
On est en droit de dire qu’un tel comportement avant le Temple de Tsukihi ne manifeste rien d’exemplaire pour un croyant de Tenrikyô puisque le Modèle provient de ses derniers cinquante ans. Mais, en dépit de l’expression « Enseignement suprême », « neuf sur dix(5)» furent déjà enseigné avant que Miki ne révèle les points essentiels de Tenrikyô, c’est-à-dire les derniers points nécessaires pour parvenir à la Vie de Joie. Autrement dit, nous avons appris beaucoup de choses positives via les religions antérieures à Tenrikyô. Il va sans dire que, à l’image de son attitude de travailleur qui peut être interprétée par l’esprit de hinokishin, ses comportements basés probablement sur les enseignements bouddhistes servent d’exemple aujourd’hui aux fidèles de Tenrikyô.
Quant à sa croyance au bouddhisme, elle avait accompli à dix-neuf ans le Gojusoden, culte de la délivrance. « C’est une des formes rituelles les plus hautes de la secte Jôdo, Terre pure. Ce rite est célébré après sept jours de dévotions spéciales, et il est rarement enseigné à des jeunes. Le fait que Nakayama Miki ait eu si jeune l’esprit préparé à une initiation si élevée, montre sa ferveur pour la foi religieuse(6). » Comme quoi, sur le plan spirituel, Miki était hautement formée et bien mûre par rapport à des jeunes vivant à la même époque.
3.2 Travailleuse
Miki accomplissait tous les travaux dans les rizières et et dans les champs, ainsi que l’arrachage du coton, le filage des fibres et le tissage. Elle travaillait plus que les autres alors qu’elle paraissait plutôt fluette(7).
A Tenrikyô, on dit souvent « Travailler, c’est non seulement travailler mais viser au bien-être d’autrui(8).» A ce propos, Tatsuzo Yamochi rapporte une histoire d’Oyasama racontée par un directeur de la Mission nationale de Tenrikyô : Il y avait un garçon dans un village proche de la Résidence d’Oyasama qui travaillait bien dés le matin très tôt jusqu’à tard la nuit. Les personnes, réunies chez elle, félicitaient ce jeune paysan en disant : « il est vraiment respectable. Travailler ainsi mérite l’estime. » Or, en entendant ces propos, Oyasama dit : « Oui, c’est vraiment un type qui gagne de l’argent. » Ses proches furent surpris par de telles paroles prononcées sur un ton plutôt négatif puisqu’ils appréciaient ce bosseur infatigable. Mais un jour, ce garçon perdit tout son argent, ayant échoué dans des opérations spéculatives et prit la fuite dans la nuit pour disparaître du village. Ils comprirent à ce moment-là que le travail effectué dans un esprit de lucre est bien différent de celui consacré au bien-être d’autrui(9).
Gagner de l’argent se focalise donc sur l’intérêt personnel alors que « travailler » s’entend dans un sens plus généreux. Entre ces deux façons de faire diverge le point d’appui. Égoïste ou altruiste. Nul ne conteste que le travail soit nécessaire pour gagner la vie. Il peut donc être considéré comme obligation pour vivre. Or, une fois devenu impératif, il constituerait un élément qui vous fait souffrir(10) comme l’indique son étymologie. Pourtant à Tenrikyô, c’est non seulement le moyen pour gagner sa vie mais aussi pour établir une solidarité avec les gens qui vous entourent, qu’ils soient collègues ou clients. Alors, vous ne saurez plus travailler dans l’égoïsme.
Un des épisodes de la vie d’Oyasama montre bien l’état d’esprit que l’on devrait avoir dans une situation donnée. Oyasama séjournait dans la prison de Nara au printemps 1844 avec Chûsaburô Kôda qui eut la corvée des cabinets dégoûtants. Elle lui demanda ce qu’il pensait de ce traitement de la part des geôliers. Il répondit alors : « On peut me demander n’importe quoi. Du moment que j’y vois le service de Dieu, en vérité, tout est parfait pour moi. » A la suite de quoi, Oyasama déclara : « C'est ça, c’est ça. Si dur ou ingrat que ce fût, il suffit de penser: “C’est parfait !” pour que cet acte atteigne le ciel, que Dieu l’accepte et vous le retourne en grâce. Par contre, si l’on ne fait que gémir : “C’est dur !” “Ah ! Que c’est fatigant !” devant n’importe quelles tâches, aussi pénibles fussent-elles, eh bien ! C’est votre grogne qui atteindra le ciel ! (11) »
Ils étaient dans une situation qu’ils n’avaient pas choisie. L’innocent prisonnier ne s’était pas senti écœuré de faire le nettoyage forcé des toilettes, mais avait pensé qu’il le faisait au service de Dieu, loin de ses préoccupations personnelles. De ce point de vue, même si nous faisons un travail que nous n’avons pas forcément voulu, il serait inutile de nous en plaindre. Nous n’avons pas à pleurnicher sur les circonstances données mais elles devraient plutôt servir à une réflexion profonde(12). Nous pouvons les transformer en moteur de vie seulement avec un état d’esprit simple et désintéressé.
Certes, l’attitude généreuse de Miki visant au bien-être d’autrui est exemplaire pour tous les fidèles de Tenrikyô. Cependant, elle n’était pas encore devenue le Temple de Tsukihi juste après le mariage et ne savait rien de l’Enseignement à ce moment-là. Alors, qu’est ce qui va changer avec et sans croyance en Oyagami par rapport au travail ?
Le mot-clef semble s’appeler hinokishin qui est un acte de reconnaissance envers Dieu-Parent. A la question « la notion du travail professionnel, comment se définit-elle selon Tenrikyô ? », Hirano Tomokazu, ancien chef de la grande église de Koriyama, répondit ainsi : Oyasama enseigna la joie de travailler sous forme de « contribution (kishin) des jours (hino)(13) ». Nous pouvons travailler parce que nous sommes en bonne santé mais une fois tombés malades, nous n’en sommes plus capables malgré l’envie que nous ayons de le faire. De ce fait, travailler avec joie et reconnaissance envers Oyagami est enseigné comme hinokishin.(14)
Comme il est dit dans La Doctrine de Tenrikyô, « le hinokishin se manifeste sous des milliers de formes qui toutes traduisent la joie que la foi enflamme. (…) Il est dans tout ce qui est accompli avec joie et courage, par pure foi et désintéressement(15). » Le travail peut bien l’être, tant que nous remercions Oyagami pour ses protections. Si l’on se prend pour l’instrument d’Oyasama qui cherche à porter secours à ses enfants, tout le travail, qu’il soit professionnel ou non, devient alors le hinokishin.
La jeune Miki aurait travaillé dans un esprit proche du hinokishin. Mais pour que le travail devienne le hinokishin, il doit commencer par une reconnaissance envers Oyagami qui nous prête un corps. La question n’est plus uniquement de viser au bien-être d’autrui mais aussi de se trouver face à face avec Oyagami. Alors, notre point d’appui n’est plus l’altruisme mais l’esprit reconnaissant envers lui. Dans cet esprit, nous travaillons pour les autres personnes non pas parce que les clients sont les rois, mais parce que les gens sont contents de nous voir travailler dans la joie et qu’il plaît à Oyasama de faire le bien à ses enfants en signe de reconnaissance. Lorsque nous sommes ennuyés ou perturbés par les gens au travail, l’altruisme ne pourrait plus nous empêcher de nourrir de la rancœur à leur encontre. Mais si nous regardons tout le temps Oyagami, Oyasama et leurs protections sans avoir de cesse, la frustration se dissipera car nous réaliserons enfin que le fait de pouvoir travailler est d’ores et déjà une source de joie. Là se trouverait la différence entre le travail, visant au bien-être d’autrui, et le hinokishin.
1 Nakayama Shozen, Extraits des cours du premier niveau pour le XVIe stage sur la Doctrine第十『六回教義講習会第一次講習録抜粋』, pp.119-120.
2 La Vie d’Oyasama, p.9.
3 Takano Tomoji, Recueil des œuvres de Takano Tomoji Volume I –Epoque du vivant d’Oyasama『高野友治著作集第一巻‐ご存命の頃』, 1980, Doyusha, pp. 51-52. Et Yamochi Tatsuzo, Dix discours d’initiation sur la Vie d’Oyasama, 『教祖伝入門十講』, p. 48. On peut également voir le même constat avec la contribution de Michio Takeda dans « Inoue Nobutaka (dir.), La religion et l’éducation, l’histoire et la situation actuelle de l’éducation en matière de religions au Japon『宗教と教育、日本の宗教教育の歴史と現状』, Tokyo, Kobundo, p. 349.
4 La Vie d’Oyasama, p.9.
5 L’expression “neuf sur dix ont été déjà enseigné”, inexistante dans la Doctrine de Tenrikyô en français, se trouve bel et bien dans la version japonaise. (La Doctrine de Tenrikyô『天理教教典』, Chapitre III). Elle veut dire que l’on peut trouver des valeurs véritables en dehors de Tenrikyô, mais dans cette dernière religion, il ne manque rien. Elle est également mentionnée en lien avec le principe de la Chose prêtée/empruntée dans le Seibun iin sho『正文遺韻抄』 de Seiichi Moroi (pp. 237-238).
6 Van Straelen Henry, Un messianisme japonais contemporain, Archives des sciences sociales des religions, No. 4, Juillet Décembre 1957, pp. 123-132.
7 N’étant pas robuste, elle se serait intéressée à la Terre Pure qui se trouve dans l’au-delà et aurait souhaité y demeurer au lieu de se battre dans un monde profane. Nishiyama Teruo, 『ひながたを身近に』Rapprocher le Modèle, Tenri, Doyusha, 1977, p.9.
8 En japonais, travailler se dit «hataraku». Le terme est ici décomposé en deux syllabes «hata» (=autrui) et «raku» (=bien-être, bonheur) pour donner un sens supplémentaire au travail. Voir No. 197 des Anecdotes sur la Vie d’Oyasama, pp. 179-180. Sachons que cela reste un jeu de mot et n’est pas propre à Oyasama.
9 Yamochi Tatsuzo, 『教祖伝入門十講』 Dix discours d’initiation sur la Vie d’Oyasama, Doyusha, 1984. p.52.
10 L’étymologie du mot « travail » vient du tripalium « instrument de torture » en latin. Le nouveau Petit Robert de la langue française, Dictionnaire le Robert, Paris, 2008.
11 Anecdotes sur la Vie d’Oyasama, No.144.
12 Kishi Yoshiharu, 『天に届く理』Ce qui atteint le ciel, p. 64, contribution pour Inoue Akio (dir.), 『教祖の教えと現代』Enseignement d’Oyasama et monde moderne, Oyasato-kenkyusho, Tenri, Université de Tenri, 2000.
13 Le terme hinokishin peut être décomposé en deux syllabes «hino» (=des jours) et «kishin» (=contribution). Cela signifie une contribution en temps, non pas en argent ni en objets précieux.
14 Hirano Tomokazu,『天理教教典研究』 Etudes sur La Doctrine de Tenrikyô, Tenri, Doyusha, 1991. p. 385.
15 La Doctrine de Tenrikyô, p.66.
(publié en février 2013 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)