La Vie d'Oyasama selon la vision du temps moderne

III, Temple de Tsukihi

15, Service du Salut (La Vie d’Oyasama, Chapitre V, p.45-62)

Oyasama a commencé à enseigner le Service en 1866. Je n’explique pas ici les paroles des chants sacrés qui méritent d’être élucidées séparément.

Sur le plan historique, le Japon était en ébullition juste avant la Restauration de Meiji de 1867. Le gouvernement militaire dirigé par le shogun était à l’agonie à cause de l’arrivée des occidentaux qui réclamaient, la menace guerrière à l’appui, l’ouverture du pays qui n’entretenait de relations officielles qu’avec la Chine, la Corée et les Pays-Bas. C’est ce qui a entraîné la division de la nation en deux, les uns soutenant la conservation du système féodal des samouraïs et les autres prônant la remise du pouvoir à l’empereur car ces militants trouvaient l’ancien régime japonais incapable de régler ce problème diplomatique. Le pays fut fragilisé par de petits et grands conflits domestiques et il en était résulté l’inflation du prix du riz qui s’était vu doubler, voire tripler. Les couches populaires étaient tellement mécontentes que les gens pillaient les magasins des commerçants de riz ou les maisons des usuriers. A Osaka seulement, 885 magasins furent détruits par des habitants coléreux.

Sur le plan religieux, la situation ne fut pas non plus paisible. A partir d’août 1867 circulait la rumeur des talismans qui tombaient du ciel. Si un jour, le talisman d’un sanctuaire shintoïste était collé sur la porte d’une maison, on hurlait : le talisman est tombé sur sa maison ! Cela veut dire que la famille de la maison en question se devait d’inviter les gens à un repas avec du saké, sinon ils venaient détruire sa maison sous prétexte du non-respect du talisman. Il y eut probablement des démagogues qui manipulèrent l’opinion publique. En tout cas, la cible fut évidemment les familles aisées. Pire encore, en cette fin de l’année 1867, le pèlerinage vers le temple Ise commença sous le slogan de « Ê janai ka (N'est-ce pas une bonne chose?) ». Ce mouvement populaire lié au désir de changer le pays poussa les gens à partir en voyage vers ce temple authentique en criant "N'est-ce pas une bonne chose si l’on réforme le pays ?". Les foules manifestèrent leur mécontentement mais le message fut dénaturé. Pendant le pèlerinage, ils déambulaient et réclamaient la quête pour eux. "N'est-ce pas une bonne chose si l'on m'offre des choses, que l'on me donne du saké et que l'on m'invite à table ?" Ce sont ces refrains que le cortège répétait à haute voix. Des aumônes furent demandées dans les villages sur le chemin des pèlerins. En cas de refus, ils n’hésitaient pas à attaquer les maisons. Ils n’étaient pas une dizaine ou centaine mais des milliers de personnes formant des cortèges désorganisés, hommes et femmes, vieux et jeunes confondus, chose inhabituelle dans un Japon confucianiste. Ce pèlerinage qui n’avait aucune religiosité dans le sens strict du terme fut un véritable théâtre de démoralisation du peuple japonais à l’époque. Il s’agissait donc non seulement d’une crise politique mais aussi de troubles sociaux et moraux.

L’agitation régnait également dans la région d’Oyasama. Les ascètes de Fudôin qui pénétrèrent sa Résidence en automne 1866 n’éprouvaient pas que de la jalousie vis-à-vis d’Oyasama qui monopolisait la faveur spirituelle des villageois mais avaient un problème vital causé par la baisse du nombre de leurs bienfaiteurs.

Le début de l’enseignement du Service correspondait à cette époque bouillante. Il n’y avait rien de sûr et les gens n’étaient sûrs de rien. Les premiers fidèles d’Oyasama, à la recherche de sûreté, cherchaient à obtenir la reconnaissance officielle pour pratiquer sans souci leur croyance et ils ne purent l’avoir qu’à grand peine. Pourtant Oyasama déclara au sujet de l’autorité : « Le clan Yoshida a beau être haut placé, il est comme une branche d'arbre, un jour il tombera. »

C’est justement ce qui se passa quelques mois plus tard. Les shoguns mirent fin à leur règne qui avait duré plus de 260 ans. Les autorités traditionnelles, qui paraissaient immuables, perdirent leurs pouvoirs en plein désarroi. Oyasama avait vu venir de loin une grande transition inouïe dans la société japonaise.

On ne va pas sans dire que le Modèle d’Oyasama doit être interprété dans son contexte historique. Mais le Service que nous pratiquons encore aujourd’hui doit aussi dépasser le schéma de l’histoire. De ce point de vue, il y a un double enjeu : le choix du moment d’enseigner le Service d’un côté et, de l’autre, la dissociation du Service de ce moment historique pour l’universaliser. Si l’on se focalise trop sur l’importance de la situation politique du pays et l’état psychologique du peuple à la fin du XIXe siècle, on risque de relativiser et de sous-estimer l’universalité de cet enseignement. A mon avis, Oyasama n’a pas commencé le Service, juste pour sauver les gens en difficulté vivant à cette époque-là. Celui-ci est largement au-delà du problème temporel. A l’inverse, si l’on attache trop d’importance à la vérité universelle du Service, on risque de négliger la volonté d’Oyasama qui aurait réfléchi au bon moment pour l’enseigner. Je n’ai ni la certitude qu’elle prévît tout afin de choisir ce moment-ci pour dévoiler le Service, ni l’intention de dire qu’il y avait un concours de circonstances fortuit qui faisait que le moment où une ère prenait fin et où débutait l’enseignement du Service était le même. Mais la réalité est là : le Service fut entamé à la période la plus tourmentée et la plus bouleversée de l’histoire du Japon. Oyasama voulait peut-être commencer le Service à la toute dernière extrémité de la longue période de l’ère d’Edo, plutôt qu’au début d’une nouvelle époque, pour que son apprentissage enjambe les deux périodes différentes. Il me semble important pour l’enseignement du Service de passer d’une ère à l’autre pour montrer sa valeur intemporelle qui ne s’altère pas en fonction du changement du système social, politique ou autre. Que ce soit exprès ou non, son choix du moment me permettrait de penser que le Service a bel et bien une envergure universelle.

Références
Nakayama Shozen, 『第十六回教義講習会第一次講習録抜粋』Extraits des cours du premier niveau pour le XVIe stage sur la Doctrine.
Yamochi Tatsuzo, 『教祖伝入門十講』 Dix discours d’initiation sur la Vie d’Oyasama.

(publié en novembre 2018 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)