La Vie d'Oyasama selon la vision du temps moderne

III, Temple de Tsukihi

2, Dépouille-toi

De 1839 à 1842(1), Oyasama « commença à donner les biens personnels qu'elle avait amenés lors de son mariage, puis, de façon successive, la nourriture, les vêtements et l'argent(2)» en suivant les paroles de Dieu que voici: « Plongez au fond du dénuement! Plongez-y jusqu'au fond, sinon vous ne comprendrez rien à ce qu'éprouvent les indigents. Même l'eau remonte, après avoir été au plus bas. Un seul grain, et je le multiplierai par dix-mille ». Ou encore celles-ci : « Tout comme l'eau qui coule, plonge vers le bas, plonge vers le bas. Comment sauver autrui en ayant demeure avec portail grandiose? Dépouille-toi, dépouille-toi!(3)»

Oyasama ne s'est pas contentée de donner en aumône ses propres affaires mais également tout ce qui appartenait à la famille Nakayama. C'en fut trop aux yeux du chef de famille, son mari. Jusque là, elle obéissait fidèlement à ses paroles mais à partir de 1838, elle ne suivra que les intentions de Dieu-Parent.

Cet épisode du dépouillement d'Oyasama est source de dilemme pour les pratiquants qui cherchent sincèrement à suivre le Modèle d'Oyasama. Si nous voulons imiter sa vie, il nous faudrait abandonner tous nos biens afin de faire bénéficier ces derniers aux plus démunis. Ce serait formidable si nous y parvenons . Dans l'histoire de l'humanité, il y eut des personnes exemplaires qui ont effectivement tout abandonné au profit des autres et c'est ainsi qu'elles réussirent à atteindre un niveau exceptionnel de spiritualité. Toutefois, les personnes aussi désintéressées restent encore très rares et pour la plupart d'entre nous, il est sans doute difficile de faire comme eux. Pourquoi alors Oyasama nous laissa-t-elle un tel exemple ?

En effet, il nous est quand même préconisé de nous détacher de l'envie matérielle car l'aumône nous emmène sous la lueur qui illumine le sentier à suivre comme il est écrit dans la Vie d'Oyasama : « En se dépouillant de tout, en renonçant à tout attachement, le cœur devenait lumineux et que le chemin de la Vie de Joie alors s'ouvrirait de lui-même.(4)» Cependant le sentiment et surtout les circonstances doivent être réunis. Par exemple, si le couple ne se met pas d'accord pour se débarrasser de tout, il vaut mieux ne pas le faire. Le consentement de la famille est très important chez Tenrikyô.

Pourtant Oyasama, malgré les oppositions de toute part, continua son chemin alors qu'à l'heure actuelle, c'est une chose plutôt déconseillée dans Tenrikyô. Pourquoi ? Parce que la volonté d'Oyagami de sauver l'humanité entière dépasse largement les affaires familiales et que c'était une étape cruciale pour ouvrir la Voie. Or, un simple pratiquant comme nous, n'ayant pas pour vocation de sauver le monde entier, n'a pas la même envergure du cheminement. Alors que cette anecdote nous enseigne l'importance de nous détacher de l'avidité, l'histoire du renoncement n'en est qu'un exemple. En termes de croyance de Tenrikyô, il est tout aussi bon de pratiquer le hinokishin qui, fondé sur la gratitude envers les protections du Dieu-Parent, se manifeste sous différentes formes afin de rendre service à d'autres personnes.

Dans tous les cas, l'aumône n'est pas un objectif de la foi en Tenrikyô. C'est bien ce qu'affirme le deuxième Shimbashira(5). Oyasama donna certes mais ce n'était nullement son objectif final. Après avoir arrêté de donner, elle commença à réaliser les multiples formes du Salut par les moyens spirituels. On y voit là une volonté d'Oyagami de transmettre les enseignements étape par étape en fonction des états d'esprit des hommes : d'abord de façon matérielle puis spirituelle. Vers la fin du Modèle de cinquante ans, Oyasama n'insistait plus sur le désintéressement total mais sur l'accomplissement du Service et la réalisation du Salut par le Sazuke. Le tout premier début du Modèle est un prélude vers le chemin de la foi complètement immatérielle. Autrement-dit, l'abandon matériel n'est pas une finalité mais ce fut une façon d'entamer le long processus de l'initiation à la maturité spirituelle. On peut penser que le désintéressement est un acte individuel de charité mais pour Oyasama, ce fut plutôt un moyen de distinguer les indispensables des inutiles en vue de la réalisation de la Vie de Joie.

À ce propos, cette aumône me semble indirectement liée à la démolition de la maison des Nakayama. Car cela concerne le nettoyage physique et spirituel de la Résidence, c'est-à-dire la purification du futur lieu sacré. Pour enseigner le Salut total du monde entier, Oyasama ne pouvait pas vivre dans une maison personnelle entourée de choses personnelles. La Résidence était prédestinée, autrement-dit elle devait être transformée en demeure divine. À partir de 1842, Oyasama ordonna le retrait des murs de l'enceinte(6) et chercha à vendre la maison principale et à trouver un acquéreur avant de la démonter en 1853. Oyasama déclara alors : « À partir de maintenant, je commence à construire un nouveau monde! Célébrons-le ensemble!(7)» C'est avec joie qu'Oyasama a démantelé la maison car cela constitua un pas de plus vers la réalisation du monde que souhaite voir Oyagami, Dieu-Parent. En considération de cela, le dépouillement avait deux significations importantes : la mise à l'écart du matérialisme et la préparation de l'édification d'un monde inédit.

Le Modèle appelé Hinagata reste toujours le chemin à suivre. Nous faisons le maximum pour l'imiter autant que possible. Cependant quand il est impossible de faire exactement la même chose, nous n'avons pas non plus à nous décourager. Oyasama est le Temple d'Oyagami, Tsukihi sur cette Terre, alors que nous, noussommes de simples êtres humains. Il n'y a pas de comparaison possible. L'important est de nous rapprocher au plus près des intentions du dénuement d'Oyasama qui ne pensait qu'au Salut du monde. Ce qui compte pour nous, il ne s'agit pas seulement d'un dépouillement matériel mais aussi, et surtout, des efforts spirituels en permanence de penser aux autres.

1 Le deuxième Shimbashira précise qu'il ne trouve pas une mention sur la date du début de l'aumône. (Nakayama Shôzen, 第十六回教義講習会第一次講習録抜粋Extraits des cours du premier niveau pour le XVIe stage sur la Doctrine, p.144.)
2 Elément de référence pour La Vie d'Oyasama, p.97.
3 Les Anecdotes sur la Vie d'Oyasama, No 4 et 5.
4 La Vie d'Oyasama, p.15.
5 Nakayama Shôzen, Ibidem, p.p 152-153
6 Ces murs appelés « Takabei » étaient un élément architectural de toit. Ce style de toiture était réservé aux familles aisées et constituait un symbole de leur statut. (Éléments de référence pour la Vie d'Oyasama, p.p19-20)
7 La Vie d'Oyasama, p.22

(publié en mai 2015 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)