III, Temple de Tsukihi
8, Épreuve décennale (Vie d'Oyasama, p.p 24-26)
Après le décès du mari Zembei(1853), la situation financière des Nakayama fut la plus mauvaise depuis la Révélation en 1838 et cela se poursuivit pendant dix années. C'est à cette période-là qu'Oyasama prononça cette fameuse parole adressée à ses enfants : « Quand nous buvons de l'eau, elle a du goût pour nous(1). » Elle les a ainsi encouragés à surmonter ces conditions de vie pénibles.
J'ai entendu quelqu'un dire que, par rapport à certains pays où il manque constamment de l'eau, ce n'était pas plus difficile pour Oyasama que pour les habitants de ces régions-là. Effectivement, le problème de l'eau n'est pas un souci majeur au Japon malgré quelques sécheresses sévères survenues au cours de son histoire. Mais il est évident que, dans ce contexte-là, ce n'est pas l'eau sur laquelle elle voulait mettre l'accent. Si elle était née dans une région où la pénurie d'eau était chronique, elle aurait pris un autre exemple, l’exemple de quelque chose que pesonne n'envie. Elle souhaitait tout simplement convaincre ses enfants de se réjouir de la moindre des choses qu'ils détenaient déjà et de ne pas perdre le moral pour la simple raison qu’ils vivaient dans une pauvreté quasi totale. Il est donc important de savoir savourer les choses déjà reçues que ce soit sur un plan matériel ou bien spirituel. Évidemment, d'un point de vue strictement objectif, on peut se trouver confronté à des situations extrêmement difficiles comme la guerre ou la famine mais il n'est pas toujours fructueux de comparer entre elles des émotions associées à des problèmes différents. Chacun a ses soucis personnels et quel que soit leur niveau, on en souffre sans pouvoir comparer le degré de douleur qui en résulte. Chaque souffrance est unique mais il n’emêche que, pour autant, l'exemple qu'a pris Oyasama est assez parlant.
Or, bien que les vécus soient douloureux, il nous importe de trouver un grain de joie qui existe sûrement quelque part dans notre vie. C'est facile à dire certes. Dans une situation désespérante, nous perdons souvent la sérénité qui nous rapprocherait d'un esprit courageux. Mais du moins, nous pouvons revenir à l’expérience d’Oyasama en cas de besoin.
Au fait, quand nous nous prenons pour un croyant assidu, le Modèle d'Oyasama appelé hinagata en japonais nous inciterait à nous débarrasser des biens dont nous sommes détenteurs comme elle l'a fait. Cependant, plus nous voudrions lui manifester notre fidélité, plus nous tomberions dans une tourmente psychologique parce que nous nous rendrions compte que de telles actions charitables ne sont pas vraiment envisageables dans la vie actuelle. La famille, les amis, le travail et les voisins, beaucoup de choses nous empêchent de nous dépouiller. Et si quelqu'un faisait vraiment cela au détriment de tout ce qui l'entoure, son bonheur personnel ferait le malheur de ses proches. Alors, Oyasama souhaitait-elle nous voir nous manifester de façon égoïstement stricte afin de mettre en pratique une charité certes louable mais au détriment des proches ? Oui, si nous avons réussi à réunir toutes les conditions indispensables aussi bien matérielles que personnelles. En y réfléchissant, certains peuvent dire qu'Oyasama fît le malheur de ses enfants ou de sa famille. Cependant, en réalité, ils l'ont suivie jusqu'au bout de leur vie et ils ont fait preuve d'une confiance absolue en elle. Je pense qu'ils étaient convaincus de l'importance de leurs lourdes tâches. Leur abnégation est tellement estimable que nous leur rendons toujours hommage et respect. En tout cas, Oyasama ne nous exhorte pas à donner sans limite afin de nous pousser au dénuement total. Nous en tant que croyants n'avons pas forcément à faire une aumône excessive.
Ces dix ans de vie d'une sévérité ineffable se situent dans la continuité de la destruction de la maison principale des Nakayama et de ce fait, ce dépouillement matériel ne concerne pas les affaires familiales mais il s'agit d'une préparation en vue du Salut du monde, autrement dit d'un nettoyage du lieu de travail divin. Quoi qu'on prenne part au Salut universel, ce dernier n'est pas lié à notre dénuement personnel. Donc, sur ce point-là, nous pouvons imiter ses actions mais elles ne sont pas destinées à la copie.
Le sens propre du dénuement ne paraît pas difficile à comprendre : le rejet matériel nous fait acquérir une force spirituelle. Nous ne pouvons pas négliger cet aspect-là. Mais ici, nous pouvons encore réfléchir en lisant les phrases suivantes d'Oyasama:
Plongez-y jusqu'au fond, sinon vous ne comprendrez rien à ce qu'éprouvent les indigents. Même l'eau remonte, après avoir été au plus bas.
( Anecdotes sur la Vie d'Oyasama, No.4 )
Dieu me parla: "Tout comme l'eau qui coule, plonge vers le bas, plonge vers le bas. Comment sauver autrui en ayant demeure avec portail grandiose? Dépouille-toi, dépouille-toi!"
( Idem, No.5 )
L'image de notre Dieu est celle de l'eau qui descend même très bas. À l'aide de cette parabole, on peut lui en trouver un autre sens plutôt figuré. Par le biais d'une donation matérielle sans calcul, Oyasama a ouvert le chemin entre sa maison et les gens considérés comme bas-fonds qui n'avaient aucun rapport avec les Nakayama. Cela signifie que la communication divine et universelle ne passe pas seulement de haut en bas mais elle pénètre partout d'un lieu à l'autre au même niveau. Et puis, à l'image de Dieu se prenant pour une eau de nettoyage qui lave les impuretés du cœur(2), Oyasama est prête à affronter des « saletés ». Elle ne fait pas travailler les autres pour ne pas se souiller mais c'est avec elle que l'on nettoie. Par extension, pour une purification spirituelle qui précède le Salut, Oyasama n'hésite pas à pénétrer dans le cœur humain entaché. Ce n'est pas instrumentaliser Dieu et Oyasama mais ils se prennent eux-mêmes pour un outil de nettoyage(3) sans lequel la purification ne serait pas achevée. D'où l'importance au moment du Service de la présence dans notre cœur d'Oyasama.
Sur cinquante ans du Modèle d'Oyasama, la moitié a été consacrée à la préparation du Salut. Ce qui explique combien son projet et sa vision étaient grandioses et combien son travail ne fut pas facile. Si Oyasama sauvait tous les hommes d'un seul coup et que le Salut dépendait seulement d'elle, une préparation aussi longue n'aurait pas été nécessaire. Mais il lui fallut plusieurs années, via un effondrement matériel et social, pour faire savoir aux hommes que son projet dépassait largement une portée locale et que le monde ne serait pas sauvé aussi aisément comme par magie.
1 La Vie d'Oyasama, p.26.
2 « Dieu est semblable à l'eau. Il lave les impuretés du cœur. » (Hymnes pour le Service, Ve Hymne, vers III.)
3 Dieu est aussi comparé à un balai. « Ce nettoyage à fond du cœur du monde entier, regardez-le bien: il a Dieu pour balai! » (Ofudesaki, III-52.)
(publié en novembre 2016 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)