II, La Révélation
1, Comment lire le livre de la Vie d'Oyasama
Le livre de la Vie d’Oyasama n’est pas une chronique. Pour comprendre cela, il suffit de lire les deux premiers chapitres intitulés respectivement « le Temple de Tsukihi » et « Les Jeunes Années ». Il commence dans le chapitre I par un événement qui s’est produit à l’âge de quarante et un ans d’Oyasama puis revient à ses jeunes années dans le chapitre II. C’est-à-dire, il ne relate pas la vie d’Oyasama d’une manière à rédiger ses annales. Les deux premiers chapitres nous rappellent le point essentiel à retenir par la lecture de ce livre : il est pour nous préconiser de suivre le Modèle, vie laissée par Oyasama dont les intentions reposent sur le Salut universel et non pas de le copier aveuglement tout en ignorant les circonstances historiques.
Alors, l’importance de ce livre ne consiste pas à retracer les événements mais à « comprendre la volonté fondamentale d’Oyagami, donc la vérité, contenue dans les événements historiques bien qu’il soit essentiel de s’appuyer sur la précision des faits connus(1) ». A ce propos, le deuxième Shimbashira, responsable de la rédaction de ce livre, précise : le point de départ de ce livre n’est pas sa naissance mais le fait que Dieu a pénétré le corps d’Oyasama. … parce que ce qui importe n’est pas la vie d’un être humain, de sa naissance à sa disparition, mais la vie par rapport à sa position, Temple de Tsukihi incarné….(2) Cette attitude permet justement de faire briller sa vie en dehors de l’histoire. Certains disent que le Modèle ne s’applique plus au monde moderne vu le changement considérable depuis l’époque d’Oyasama. En effet, les mœurs, le train de vie, la façon de penser, le développement technologique comme dans le domaine médical ont beaucoup évolué. Or, le Modèle étant donné pour la réalisation d'un monde de la Vie de Joie qui se fonde sur le Secours à autrui à travers le Service et le Sazuke, le livre de la Vie d'Oyasama nous rappelle comment porter ces pratiques religieuses dans notre vie de tous les jours et comment fortifier notre cœur face à des événements embarrassants dans quel monde que nous vivions.
Ce n'est donc ni une biographie ni un roman mais un livre de référence pour rendre encore plus passionnante notre existence souvent laborieuse.
2, Préparation à la Révélation
Comme souvent, Oyagami prépare les événements importants bien à l'avance. Le préambule de la Révélation commença un an plus tôt soit vers octobre 1837 avec la douleur à la jambe gauche de Shûji, le fils héritier des Nakayama. Son père, très inquiet, a tout tenté : non seulement les soins médicaux mais aussi les moyens religieux sans épargner aucune dépense pour les rites d'incantation dont le coût était loin d'être négligeable pour un foyer ordinaire. L'anachorète montagnard qui a présidé à ce rite syncrétique entre bouddhisme et taoïsme(3) était très réputé et considéré comme un des douze meilleurs ascètes du mont Omine(4) et sans doute le meilleur dans cette contrée pour son efficacité rituelle(5). Il avait alors 46 ans, avait beaucoup d'expériences dans l'exorcisme et son art de traiter les dieux était attesté avec des résultats édifiants. Comme attendu, il a réussi à faire disparaître la douleur et à prouver ses talents et ses capacités à apporter l'effet immédiat. Cependant, la douleur revient assez rapidement après la prière. Ainsi, les rites pour la guérison de jambe ont-ils été renouvelés neuf fois en une année à défaut d'une issue durable. Devant une telle réalité, il est tout à fait imaginable que le chef de famille commença à douter que cette façon occulte puisse apporter la solution fondamentale même avec un maître aussi redoutable(6). On pourrait dire qu'Oyagami a mis un an pour faire comprendre que toutes les recettes possibles, médicales comme ésotériques, ne garantissent pas la guérison souhaitée.
La date de la Révélation est le 26 octobre 1838. Mais c'est trois jours plus tôt, le 23 octobre que s'amorce la scène mémorable. À ce moment-là, ce n'est plus seulement Shûji mais aussi Miki et son mari qui ont eu la douleur respectivement aux hanches et aux yeux. À la demande urgente de la famille, l'exorciste décida de faire une grande incantation pour les trois malades mais son assistante habituelle était absente. Il fallait une femme mais pas n'importe qui. Miki remplissait les conditions pour la remplacer : personne honnête, pieuse et dévote. À la place de la médium accoutumée, elle a porté les bandelettes des papiers blancs et s'est mise en place. C'était vers dix heures du soir, Oyagami a pénétré le corps de Miki pour prononcer ainsi : « Donnez-moi Miki pour Temple de Dieu ». La scène était effrayante pendant trois jours de discussions intenses entre Oyagami et les membres de famille qui se sont entêtés à rejeter la demande de Dieu(7). Miki, affaiblie sans dormir ni manger, tremblait, saignait aux dos de la main qu'elle se frottaient au sol. L'ambiance était néfaste puisque l'assistance s'est retrouvé sans issu car il était hors de question à leurs sens de céder à cette sollicitation malgré Dieu-Parent qui n'était pas prêt du tout à se retirer. Les filles d'Oyasama dont la plus petite était âgée de dix mois racontèrent plus tard qu'elles étaient terrifiées à chaque mot de leur mère transformée en un être majestueux et surnaturel(8). Mais au bout de trois jours, le mari de Miki, chef de famille, a fini par accepter l’exigence d'Oyagami Dieu-Parent.
Le 26 octobre 1838, Miki est donc devenue une divinité intangible et invulnérable. La souffrance infligée à l'unique héritier des Nakayama fut le signe d'un grand événement comme il est dit plus tard dans le verset de l'Ofudesaki (XII, 118) : « Celui dont le corps était parfaitement sauf, Tsukihi l'a tordu, mis à mal. » Si Oyagami fait mal au corps, il envoie un message qui sert à nous progresser, nous redresser. Mais cette fois-là, il n'y a pas mis un message personnel mais universel. Oyagami avait besoin d'une circonstance où tout est réuni : le culte ne doit pas être pratiqué chez l'ascète mais dans un endroit prédéfini à savoir la résidence des Nakayama où il doit y avoir la personne qui était prédestinée à recevoir les paroles d'Oyagami. Le moment était aussi attendu, autrement dit prédéterminé. Le mal de Shûji servit à regrouper ces trois éléments indispensables : « prédestination de l'âme d'Oyasama », « prédestination de la Résidence » et « prédétermination du Moment de la Révélation ».
Jusqu'ici, du fait que cela concernait sa vie en tant qu'un être humain, nous avons parfois humanisé la fondatrice de Tenrikyô alors que certains auraient été embarrassés par le fait qu'elle est traitée comme une personne ordinaire. A présent, nous serons confrontés à une autre difficulté plus embrouillée pour autant : celle de rejeter ses images humaines et de distinguer son humanité apparente de sa divinité fondamentale.
1 FUKAYA Tadamasa, Oyasama-sur les enseignements fondamentaux de Tenrikyô天理教の根本教義について・教祖, Nara, Doyusha, 1982, p.69.
2 NAKAYAMA Shozen, Extraits des cours du premier niveau pour le XVIe stage sur la Doctrine第十六回教義講習会第一次講習録抜粋, Tenri, Doyusha, 1997, p.77.
3 IWAO Seiichi, IYANAGA Teizô, ISHII Susumu, Dictionnaire historique du Japon, Paris, Maisonneuve et Larose (publié par la Maison Franco-Japonaise de Tokyo), 2002. Article « Shugendo ».
4 Cette montagne fut, à l'époque Heian (794 à 1185, ndlr), le foyer d'une école bouddhique ésotérique (shugendô), dont les adeptes, yamabushi no gyôja (« pratiquants qui couchent dans les montagnes »), se retiraient en montagne pour y pratiquer une ascèse rigoureuse. http://www.larousse.fr/encyclopedie/mont/Omine/182279
5 NAKAYAMA Yoshikazu, Mon Oyasama 私の教祖, Doyusha, Tenri, 1981, p.192.
6 NISHIYAMA Teruo, Près du Modèle ひながたを身近に, Tenri, Doyusha, 1977, p.18.
7 Voir la Vie d'Oyasama, p.p.3-6.
8 Voir les Anecdotes sur la Vie d'Oyasama, No 2 « Moment de la Révélation ».
(publié en mai 2014 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)